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Souvenirs de thérapie avec le Diable

Lors de nos premières rencontres je me décrivais comme quelqu‘un ayant réussi et qui croque la vie à pleines dents. Lui relevait la tête en arrière d’un air moqueur « Mais oui bien sûr… ».

Il m’a invité à me regarder dans le miroir, me regarder réellement. J’ai arrêté de contempler le reflet imaginaire sur lequel je fantasmais, et j’ai interrogé le regard que les autres portaient sur moi. « Ok, ça change tout et ça explique des bien choses » je me suis avoué à moi-même.

Il est venu combler des trous dans mon éducation, là où d’autres avaient précédemment abandonné parce qu’ils me pensaient irrécupérable ou juste que je n’en valais pas le coup.

Ensemble on a exploré pleins de gros mots : la « confiance en soi » quand il s’agissait d’affronter mes peurs ; l’ « estime de soi » quand il m’a montré qu’une personne pouvait avoir de la valeur même dans l’échec ; le « lâcher prise » quand certaines réalités ne peuvent être changées ; l’ « assertivité » quand il m‘a fallu faire respecter mes besoins, les  « compétences sociales » quand je me suis dit que moi aussi j’aimerai bien me faire des amis. On a aussi parlé de surdoués, mais ça c’était juste pour le folklore et narguer les autres.

Il a été le témoin et le déclencheur d’un changement en moi, quittant un passé académique pour une renaissance haute en couleurs.

Autant certains psy sont des gros connards, autant lui était plutôt sympa et bien plus abordable que sa réputation le laissait paraître. La seule barrière venait de nous-même, de notre peur par anticipation selon nos suppositions de ce qu’il pourrait potentiellement répondre ou pas, et que finalement on se dégonfle tout seul sans même avoir tenté notre chance d’essayer de l’aborder.

Alors oui, la thérapie chez les surdoués en Belgique c’est un peu spécial. Par exemple en groupe de parole, déjà ça se passe dans une salle de sport, et puis les gens fond que s’amuser de leurs propres travers et rigolent comme des baleines de leurs jeux de mots pourris, tout ça sous la supervision de l’animateur savourant sa bière rituelle.

C’était ce genre d’élève à l’école capable de donner la bonne réponse à chaque fois, mais a qui il ne faut pas demander d’argumenter car lui-même ne sait pas comment il est parvenu à ce résultat. En thérapie, il donnait l’impression de lire dans les pensées des gens. Mais il bottait systématiquement en touche quand on lui demandait d’écrire un bouquin pour expliquer sa méthode.

Il était contestataire et remettait en cause le consensus des élites conservatrices. « Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tord, qu’ils ont raison » aimait-il rappeler. (Comprendre « la majorité n’a pas toujours raison »).

Les apparences étaient donc contre lui. Et ses concurrents commerciaux, adoptant un discours pompeux pseudo-scientifique, ne manquaient pas de le démolir sur la place publique : « moi je ne ferais pas comme ça », « il va droit dans le mur », « c’est du grand n’importe quoi », « c’est un type dangereux », « c’est une boite à fric », « c’est un gourou ». Certains, plus curieux, se déguisaient pour venir voir ce qu’il faisait. D’autres envoyaient leur apprentis se former chez lui.  D’autres encore le copiaient pour plus facilement lui voler son job.

Alors oui aussi, il était l’apparence d’un gros hold-up assez bluffant de la thérapie. Pour ma part, j’aurai aimé pouvoir créer une antenne de son activité dans ma région. Ca aurait eu un ton différent, étant d’un tempérament plus modéré et précautionneux. Et aussi parce qu’à l’instar du personnage très rentre dedans qu’il affichait, j’assume et ne masque pas mes faiblesses en public.

Pour résumer je retiens qu’il avait une manière très masculine de faire de la thérapie, dans un milieu professionnel où la majorité des thérapeutes adoptent la maman-attitude. Genre…  t’es un gosse, t’as envie de tester un truc, bien scabreux sur le papier mais tu ne le sais pas encore par inexpérience. Plutôt protectrice, ta mère va chercher à te faire hésiter, pour te dissuader sournoisement, mais avec amour. Ton père : « tu veux tester, mais vas-y testes ! » Tu testes. Tu te vautres lamentablement. Et quand tu reviens vers lui, fièrement il compatis :  «  tu vois, c’était pas une bonne idée ».

Il restera dans ma mémoire quelqu’un de bienveillant qui m’a aidé à me construire et auquel je resterai reconnaissant et loyal pour la vie quelques soient les reproches qu’on pourrait lui porter.

Je garde la nostalgie de nos dernières entrevues, alors que la thérapie n’était plus qu’un prétexte bidon, car j’y allais surtout pour prendre des nouvelles de quelqu’un qui comptait pour moi, et pour l’informer de mes derniers projets dont j’étais fier.

Toute mon amitié inconditionnelle,

Pour Thierry,